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Tribune - Business vert en pays pauvres

Tribune de Bernard Duterme (CETRI) parue ce 27 février dans La Libre Belgique, à propos du livre collectif à paraître ce 3 mars : Business vert en pays pauvres (Syllepse/CETRI).

Quatre brèves assertions pour entamer cette tribune. Quatre truismes certes, mais que l’on se sent l’obligation de rappeler d’entrée. L’ampleur du désastre écologique d’abord, sa centralité, son urgence. Annoncé par les scientifiques et les activistes depuis des lustres, il explose aujourd’hui dans toute son irréversibilité, par l’hypothèque qu’il fait peser sur la préservation de la biodiversité et des équilibres naturels. Son injustice ensuite, les premières et principales victimes de la crise environnementale et climatique n’étant pas ses premiers et principaux responsables. Les populations vulnérables et les pays pauvres d’un côté, les populations aisées et les pays riches de l’autre. En cause, les répercussions du productivisme et du consumérisme abusifs de ces derniers, la couche démographique la plus opulente – et donc la plus pollueuse – de la planète, moins d’un quart de l’humanité.

D’où, troisième point, la « dette écologique » considérable dont les « gros mangeurs » sont redevables aujourd’hui envers les nations ou les personnes qui font les frais du festin auquel elles n’ont pas pris part. Or, quatrième évidence, au lieu de l’honorer à la hauteur et à la vitesse requises, cette dette écologique, les grandes puissances économiques, publiques et privées, sont occupées à la creuser davantage encore. En menant des politiques dites de « développement durable » ou de « Green Growth », qui tendent à aggraver les fractures sociales et environnementales. Comme si la grande hypocrisie verte Nord-Sud consistait à « déplorer les effets dont on continue à chérir les causes », selon la formule consacrée. Prétendre contrer l’effondrement en l’empirant.

On tient là le ressort et la logique du « business vert » pratiqué depuis quelques années en pays pauvres, tambour battant. Business vert qualifié là-bas, par les organisations sociales critiques, de « fausses solutions » climatiques ou écologiques, en cela qu’elles y perpétuent un modèle de développement capitaliste prédateur, repeint en nouveau pacte durable. Mais de quoi parle-t-on concrètement ? D’une série composite de projets, d’accords, d’investissements, de programmes… menés dans le Sud au nom de la sauvegarde de la biodiversité ou du climat, mais qui, dans les faits, ont pour principale vertu de sécuriser l’approvisionnement ou d’enrichir la bourse de leurs promoteurs. Et, incidemment, pour principal défaut de porter préjudice aux populations locales et à leur environnement.

Il en va ainsi, par exemple, de la compensation carbone par de douteux reboisements, stockages ou évitements, en échange de droits de polluer. Mais aussi des politiques de dépossession des terres, de privatisation, d’extraction intensive des minerais nécessaires à la décarbonation des économies du Nord. Ou encore, en vrac, des accords commerciaux asymétriques sur les ressources, des monocultures d’agrocarburants, de la financiarisation du vivant, de la marchandisation des services écosystémiques, du green business du capital naturel, de la mise sous cloche conservationniste d’aires protégées à distance des autochtones (mais pas des « écotouristes »), etc. À la manœuvre, les entreprises et les États occidentaux bien sûr, mais aussi ceux, émergents ou émergés, du Sud global, telles la Chine ou les pétromonarchies du Golfe.

Les effets pervers des multiples instruments de marché, juridiques et financiers (écocertifications, mécanismes REDD+, paiements pour services environnementaux, Green Bonds, fonds fiduciaires conservationnistes, dispositif APA des ressources génétiques, compensation biodiversité, etc.), mis à la disposition des grands pollueurs par la communauté internationale afin de concevoir leurs politiques environnementales ont beau être pointés du doigt par de multiples études indépendantes, rien n’y fait. Ainsi, le dernier des sommets climatiques annuels – la COP29 à Bakou –, en plus de renâcler en matière d’engagements financiers équitables, est venu ajouter un nouvel « accord » qui prétend mieux réguler une partie des « crédits carbone », mais qui ne rassure absolument pas sur l’effectivité, la durabilité et la fiabilité des démarches validées.

Le credo est toujours le même : en pariant sur le progrès technologique et la valorisation de la nature en actif monétaire ou financier, le modèle de développement dominant, productiviste, consumériste et… inégalitaire, est à même de « découpler » croissance de l’économie et hausse des pollutions. Ou, mieux dit, de réconcilier capacité à faire du profit et capacité à protéger l’environnement. Or, vu d’en bas, l’ensemble procède d’une absorption de l’écologie par la combinaison d’une double logique : celle, libérale, d’accumulation privative et celle, néocoloniale, d’emprise contrainte. Et est taxé, à ce titre, de « capitalisme vert » ou encore de « transition hégémonique ». La tendance grève d’autant la dette écologique des pays riches à l’égard des pays pauvres. Et éloigne les uns et les autres des voies d’un développement partagé, juste et équilibré.

👉 Sur le même thème, le livre collectif du CETRI (éditions Syllepse, Paris) à paraître ce 3 mars : Business vert en pays pauvres.


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.

Oil Palm factory workers, Brazil - Miguel Pinheiro/CIFOR
Oil Palm factory workers, Brazil - Miguel Pinheiro/CIFOR

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