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8 mars

Basculement réactionnaire : agir face au recul des droits des femmes

Le 8 mars résonne cette année comme un cri d’alarme et un appel à la résistance face à l’ascension des politiques réactionnaires, populistes et anti-intellectualistes. Cette journée est l’occasion de dénoncer les attaques à grande échelle dont font l’objet les droits des femmes et des minorités sexuelles.

Le monde est-il en train de basculer ? Aux bouleversements écologiques, guerres et injustices sociales, viennent s’ajouter les frasques d’un leader imprévisible qui accroissent la brutalité et le chaos. L’absence de réponses collectives aux enjeux globaux a alimenté un repli sur soi qui s’est manifesté par l’essor d’idéologies nationalistes, de mouvements populistes et de réflexes identitaires. Si la perspective d’un basculement peut effrayer et potentiellement précipiter l’effondrement, elle peut aussi ouvrir la voie à des transformations profondes de nos écosystèmes naturels, socio-économiques et politiques.

Une offensive mondiale anti-genre

À l’aune de ces défis, le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, revêt cette année une résonance particulière. Elle est l’occasion de dénoncer les attaques à grande échelle dont font l’objet les droits des femmes et des minorités sexuelles.
Souvent qualifiées de « retour de bâton », ces attaques relèvent d’une réaction conservatrice à des avancées obtenues en matière d’égalité de genre. Elles visent à « remettre les femmes à leur place », à préserver un statu quo patriarcal et à restreindre les droits des personnes LGBT+. La dangerosité de ces offensives ne se limite toutefois pas à ces conséquences directes. Elle réside aussi dans le recyclage et l’exploitation qui sont faites de la grammaire du genre, ainsi que dans sa portée symbolique, qui a permis de coaliser des acteurs très différents.
Si ces offensives « anti-genre » s’inscrivent ainsi dans la continuité d’un conservatisme de longue date, elles s’en distinguent en termes d’acteurs, de discours et de stratégies. Apparues initialement en Europe et en Amérique latine, au milieu des années 2000, elles se sont intensifiées et propagées depuis à tous les continents.
Originellement portées par des organisations de la société civile et des cercles catholiques, opposés à la montée en puissance du concept du genre promu par les conférences onusiennes, les campagnes anti-genre ont évolué. Elles ont été récupérées par des acteurs, en apparence hétérogènes, mais unis autour de la contestation de « la théorie » ou de l’« idéologie de genre », percevant dans ce concept le fondement intellectuel des lois et des politiques qu’ils rejettent.
Ce phénomène, à l’origine religieux et sociétal, s’est transformé en un véritable projet politique, puis étatique avec le développement de mesures publiques anti-genre et la formation de nouvelles alliances diplomatiques. Des partis, principalement situés à droite ou à l’extrême-droite de l’échiquier, ont fait de la « phobie du genre » un élément clé de leur stratégie. Ils veulent ainsi s’opposer aux droits des femmes et des minorités sexuelles, mais aussi toucher de nouveaux publics et accroître leur influence. Ce processus s’est opéré dans un climat de méfiance croissante envers les institutions démocratiques, alors que les inégalités structurelles ne cessaient de se creuser.
Aux États-Unis sous Trump, en Hongrie sous Orbán ou au Brésil sous Bolsonaro, ces politiques sont devenues un projet d’État à part entière. Elles ont servi à la fois des objectifs idéologiques et le pouvoir des dirigeants. De même, Vladimir Poutine s’est posé en victime menacée en s’affirmant comme « le dernier rempart civilisationnel » face à un « impérialisme occidental » qui défend des valeurs féministes et pro-LGBT+, menaçant l’intégrité de la nation russe. Il a ainsi légitimé sa politique étrangère agressive.

Un appel à la résistance

Alors que les politiques réactionnaires, populistes et anti-intellectualistes d’extrême-droite gagnent du terrain en Europe et dans le monde, ce 8 mars doit retentir comme une alarme et un appel à la résistance : les avancées sociales et les droits des femmes et des minorités sexuelles sont en danger. Les coups portés sont tantôt directs et frontaux, visant l’égalité de genre, les droits sexuels et reproductifs ou l’impunité des violences ; tantôt indirects, lorsque, comme en Belgique, des manœuvres politiques bloquent une proposition de loi améliorant l’accès à l’avortement.
Certains discours conservateurs puisent dans des nationalismes sexuels anciens, de la première moitié du 20e siècle, où racisme et xénophobie se combinaient au sexisme et à l’homophobie. Des dirigeants d’hier, comme d’aujourd’hui, ont alors en commun d’invoquer une masculinité viriliste et un ordre sexuel traditionnel, fondé sur la famille nucléaire hétérosexuelle où les rôles de genre sont strictement définis et inégalitaires.
D’autres figures politiques, masculines et féminines, dans un jeu de trompe-l’œil, feignent de défendre les droits des femmes, tout en détournant ces luttes à leur compte, sans se soucier de leur réalisation. À travers des discours fémonationalistes (ou homonationalistes, comme en Israël), elles cherchent à se présenter en protecteur des femmes (ou des personnes LGBT+), mais poursuivent leurs agendas nationalistes, ultra-libéraux, racistes et anti-immigration. En fin de compte, la défense des droits des femmes n’est rien d’autre qu’un prétexte pour exclure des populations dont la « culture » est perçue comme incompatible avec l’« identité nationale ».
Le sexisme et le racisme sont des leviers, mobilisés par l’extrême-droite et les « contre-mouvements » sociaux, afin de consolider une « politique du ressentiment ». À l’inverse de l’indignation qui émerge face à l’injustice, le ressentiment naît, comme l’explique Éric Fassin, de « l’idée qu’il y en a d’autres qui jouissent à ma place, et donc qui m’empêche de jouir. Autrement dit, c’est une réaction non pas aux inégalités, mais aux progrès de l’égalité ». Dans cette logique, les frustrations et la colère populaire ont été habilement dirigées contre le féminisme ou les défenseur·euses des droits des minorités.
Dans le contexte néolibéral qui est le nôtre, il est illusoire de vouloir séparer les enjeux économiques des enjeux culturels, ceux de la redistribution et de la reconnaissance. Les luttes pour les droits des minorités ne sont pas uniquement culturelles, tout comme les luttes de classe ne sont pas seulement matérielles. Dépasser ces oppositions binaires est une démarche indispensable pour recréer un front des luttes à même de contrer les offensives réactionnaires qui sévissent aujourd’hui, en Europe et dans le monde.


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